Vendredi n'est pas le pire.
Robinson a tort de se plaindre. Vendredi accomplit sa part. Pour eux, il s'occupe la journée entière. Il pêche, il chasse. Il ramène du bois, des coquillages, des crabes vivants, des oiseaux morts et leurs oeufs encore chauds. Il ramène, chaque jour, avec la bonne volonté du chien stupide.
Avec Vendredi, la famine s'éloigne.
Robinson n'a pas besoin de toute cette nourriture. Jusque là, un lapin bouilli - dont il suçote les os pendant des heures - l'occupe et le nourrit pour la journée.
Et tant que 6897 pas suffisent à faire le tour de l'île, Robinson que la vie sédentaire a rendu frugal n'a que faire de toutes ces provisions accumulées.
Son frigidaire est trop petit.
Les nourritures s'entassent. Se carapatent. Envahissent la cahute. Vont crever dans les coins. L'odeur est à vomir.
Vendredi rentre à la nuit tombée. Jette là son sac dégoulinant. Las. Affamé. Sa mission accomplie, il se met les pieds sous la table.
"Vendredi n'est pas le pire" se répète Robinson, regardant ramper les palourdes.
Pour lui plaire, pour le remercier, Robinson cuisine.
Les crabes, les coques, les oeufs, les oiseaux assommés.
Pour rendre la pareille.
Il prépare des potages raffinés, des entrées délicates, un gros plat nourrissant, un dessert, parfois deux.
Souvent, Vendredi s'endort sur son assiette.
Vendredi n'est pas le pire. Vendredi est le seul.